Question 1 : Pourquoi observe-t-on l’océan ?
Vu d'un bateau ou d'un avion, l'océan se présente « partout pareil ». Il n'en est absolument rien. L'océan est incroyablement différent selon les endroits ou les saisons et il y existe autant (et peut-être plus) de diversité que sur les continents. Si l'œil humain peut apprécier ces différences sur les continents, il n'en est pas de même pour l'océan.
C'est parce qu'il possède une troisième dimension, la profondeur, qui fait de l'océan « un monde » mystérieux et qui reste à découvrir. Un plongeur peut au mieux descendre à 100 m alors que la profondeur moyenne de l'océan est de 3800 m. On voit là tout le challenge qu'ont les océanographes à observer.
Observer pour connaître et comprendre
Une raison d'observer les océans est de chercher à mieux connaître leurs constituants (par exemple les organismes vivants) ou leurs caractéristiques (comme la température ou la salinité). Cette connaissance est nécessaire pour mieux comprendre le fonctionnement et le rôle des océans dans la régulation de notre climat. On sait déjà que les océans stockent, transportent, via les courants marins, (voir carte) et échangent avec l'atmosphère d'énormes quantités de chaleur et de gaz (dioxygène, O2, dioxyde de carbone, CO2). On sait également que les organismes vivants jouent un rôle important sur la fixation de dioxyde de carbone. Mais ces connaissances restent aujourd'hui insuffisantes et demandent à être approfondies par des observations adéquates. C'est indispensable pour comprendre et ainsi tenter de prévoir les évolutions futures.
Observer c'est aussi explorer et peut-être découvrir
Une autre raison d'observer l'océan est motivée par l'objectif d'explorer avec le secret espoir de parfois découvrir. L'océan occupe en effet la plus grande partie de notre planète mais il reste méconnu, car à ce jour faiblement exploré. De la même manière qu'un nouveau télescope permet de découvrir de nouvelles planètes, de nouveaux outils développés pour l'observation des endroits insolites (grandes profondeurs) ou difficilement accessibles de l'océan (par exemple sous la glace) permettent de découvrir.
Question 2 : Quels sont les outils d’observation utilisés ?
Les océanographes disposent de plusieurs outils ou plateformes pour observer les océans et les mers de notre planète.
Le planeur sous-marin
Le planeur sous-marin mesure les propriétés de l'océan en se déplaçant sans hélice. Il peut descendre jusqu'à 1 km de profondeur et réaliser des missions de plusieurs mois et sur plusieurs milliers de kilomètres.
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Le planeur sous-marin (glider en anglais) monte et descend (jusqu'à 1 km de profondeur) dans un mouvement de dents de scie (animation). Ce déplacement se fait sans utiliser d'hélice, simplement en changeant son volume (comme pour le flotteur profileur). Le planeur est équipé de capteurs équivalents à ceux que l'on trouve sur la rosette et qui mesurent, par exemple, la température, la salinité, la concentration en chlorophylle a ou en dioxygène.
Lorsqu'il arrive en surface (toutes les quatre heures environ), le planeur transmet au laboratoire ses mesures grâce à un téléphone satellite (le planeur possède une carte sim). Le scientifique peut alors aussitôt regarder et analyser le profil vertical de ces mesures sur son ordinateur. Il peut décider ou non de modifier la mission (changer la direction du planeur, l'envoyer moins profond, allumer d'autres capteurs). Le planeur sous-marin est un instrument d'utilisation récente pour l'observation de l'océan. Il permet notamment d'observer pour la première fois des phénomènes sur de petites distances (quelques mètres sur la verticale, 1 km à l'horizontale ce qui est une petite distance en regard de l'immensité de l'océan). Il peut parcourir des distances de plusieurs milliers de kilomètres. L'énergie nécessaire pour se déplacer, allumer les capteurs et transmettre les données est fournie par des piles lithium (une pile pèse environ 35 kg). Une mission type de planeur sous-marin en Méditerranée est décrite ici.
Le flotteur profileur
Il existe actuellement plus de 3000 flotteurs profileurs qui, en dérivant dans tous les océans du monde, réalisent des mesures depuis la surface jusqu'à 2 km de profondeur. Leur durée d'opération est de 3 ans environ.
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Tous les 10 jours, le flotteur profileur quitte sa profondeur de parking (située entre 1000 et 2000 m) et remonte à la surface (animation). Ce déplacement (qui dure une dizaine d'heures) se fait sans utiliser d'hélice, simplement en changeant son volume, comme pour le planeur. Pendant la remontée, le flotteur allume ses capteurs et mesure, par exemple, la température, la salinité, la concentration en chlorophylle a ou en dioxygène. Une fois en surface, il transmet au laboratoire ses mesures grâce à son téléphone satellite (il possède une carte sim). Le scientifique peut alors aussitôt regarder et analyser le profil vertical de ces mesures sur son ordinateur. Il peut décider ou non de modifier la mission (envoyer le flotteur plus ou moins profond, allumer d'autres capteurs). Le flotteur replonge ensuite et va se « garer » à sa profondeur de parking où il dérivera au gré des courants pendant un nouveau cycle de 10 jours. Le programme international Argo, centré sur l'observation des propriétés physiques de l'océan, gère 3000 flotteurs de ce type dans tous les océans du monde. Il est désormais accompagné par le programme Bio-Argo focalisé sur la biologie marine.
Le satellite « couleur de l'eau »
Le satellite « couleur de l’eau » observe tous les jours l'ensemble des océans et permet de dresser des cartes de l'abondance du phytoplancton, premier élément de la chaine alimentaire.
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Le satellite « couleur de l’eau » qui tourne autour de la Terre à une altitude de 700 à 800 km est le seul outil d'observation qui nous renseigne, tous les jours, sur la richesse de la vie océanique en mesurant la concentration en chlorophylle a à la surface de l'océan global ou de régions particulières comme la Mer Méditerranée. Ce satellite analyse la couleur de la lumière qui re-émerge de l'océan et qui varie en fonction de la richesse en phytoplancton. La durée de vie de tels satellites est de l'ordre d'une dizaine d'années ce qui permet de reconstituer et de comprendre « l'histoire » du phytoplancton d'une saison à une autre ou d'une année à une autre.
Les animaux océanographes
Certains animaux, comme les éléphants de mer dans l'Océan Antarctique, deviennent à leur tour des océanographes lorsque les chercheurs les équipent de capteurs miniaturisés.
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Des scientifiques ont eu l'idée de se servir des animaux eux-mêmes pour observer et mesurer. Ainsi en Antarctique, les éléphants de mer sont parfois équipés de capteurs de température ou de fluorescence (qui mesure la chlorophylle a). Ces animaux ainsi équipés peuvent parcourir des centaines de kilomètres en plongeant régulièrement, parfois jusqu'à 800 m, pour chercher leur nourriture. Chaque fois qu'ils remontent à la surface pour respirer, les données qu'ils ont recueillies en plongée sont transmises par satellite à terre, comme pour un flotteur profileur ou un planeur et le profil vertical des mesures est donc reçu « en temps réel » au laboratoire.
Les navires océanographiques
Le navire océanographique est l'outil de base des recherches en océanographie. Il permet d'embarquer de nombreux scientifiques qui réalisent des mesures que les robots ne sont pas (encore) capables de faire.
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Les navires océanographiques comme le "James Cook" ou le "Marion Dufresne" permettent d'embarquer jusqu'à 40 scientifiques pour des périodes allant jusqu'à deux mois. On peut considérer un bateau océanographique comme un super laboratoire flottant. Grâce à des treuils et des grues, le bateau permet de déployer une multitude d'instruments. Certains instruments, sondes, ou capteurs, réalisent directement les mesures au fur et à mesure de leur descente en profondeur dans l'eau. D'autres permettent de prélever des échantillons d'eau (bouteilles), de particules (pompes), ou d'organismes vivants (filets à zooplancton). Parmi ces instruments c'est la rosette qui est souvent au cœur des activités menées sur un bateau.
La rosette
La rosette, déployée à partir d'un bateau océanographique, permet de récolter de l'eau de mer depuis la surface jusqu'aux grandes profondeurs pour réaliser une variété d'analyses chimiques et biologiques.
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La rosette et son ensemble de capteurs représentent certainement l'instrument le plus utilisé sur un bateau océanographique. La rosette comprend un ensemble de bouteilles, généralement d'une dizaine de litres, placées en cercle au dessus d'un groupe de capteurs. Elle est descendue dans la colonne d'eau (parfois jusqu'à 6000 m) au moyen d'un câble. Lors de la descente, les capteurs transmettent vers le bateau par l'intermédiaire d'un câble les mesures de certains paramètres essentiels comme la température, la salinité, la concentration en chlorophylle a ou en dioxygène (profil vertical). Ces mesures s'affichent « en temps réel » sur un écran de contrôle que scrutent les scientifiques. A la remontée, les différentes bouteilles sont fermées les unes après les autres aux profondeurs que les scientifiques ont alors choisies. Une fois la rosette remontée à bord, s'en suit le ballet des scientifiques qui viennent prélever une partie de l'eau des bouteilles pour regagner ensuite leur différent laboratoire afin d'y réaliser leurs analyses.
Les drones de surface télécommandés
Les drones de surface sont des outils très récents qui permettent d'observer et comprendre les phénomènes à la surface de l'océan et de la base de l'atmosphère.
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Les océanographes utilisent de plus en plus des bateaux télécommandés qui, déployés à partir d'un bateau, permettent de réaliser des mesures météorologiques ou des propriétés physiques (température, salinité), chimiques (dioxygène), ou biologiques (concentration en chlorophylle a) de la surface de l'océan, sans être « perturbées » par la présence d'un (gros) bateau.
C'est le cas des voiliers télécommandés ou de trimarans se déplaçant grâce à une hélice.
Les mouillages instrumentés
Les mouillages instrumentés sont ancrés au fond des océans. Ils mesurent une variété de propriétés à différentes profondeurs, toutes les minutes et pendant plusieurs années.
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Un mouillage instrumenté, comme la bouée BOUSSOLE en Méditerranée ou la bouée MOBY au large de Hawaï, permet de mesurer en un point fixe des propriétés biologiques, optiques ou chimiques de l'océan superficiel. Par exemple, la bouée BOUSSOLE observe la même zone de la Mer Méditerranée au fil des jours et des saisons depuis plus de 10 ans maintenant. C'est ce que les scientifiques appellent une série temporelle. Cela leur permet d'essayer de comprendre comment cette zone évolue en fonction des facteurs environnementaux comme les coups de vent et les tempêtes, et comment elle pourrait évoluer avec les changements climatiques actuels. Certains mouillages (la bouée BOUSSOLE en particulier) réalisent aussi des mesures utilisées pour vérifier ("valider") régulièrement les observations fournies par les satellites « couleur de l'eau ». On les appelle des «vérités-mer». En effet les satellites, une fois placés en orbite autour de la Terre, vieillissent; il est fondamental de s'assurer de la qualité de leurs mesures.
Les bouées dérivantes
Les bouées dérivantes comme la bouée CARIOCA mesurent des propriétés physiques, chimiques et biologiques à la surface de l’océan reliées aux échanges de dioxyde de carbone, CO2, entre l’océan et l’atmosphère.
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Les bouées dérivantes CARIOCA sont équipées de mesures horaires de pression partielle de CO2 (capteur CARIOCA), température, salinité, fluorescence ou oxygène dissous à 2m sous la surface de la mer et de vitesse de vent et pression atmosphérique à 1.5m au dessus de la surface de la mer.
Elles mesurent environ 2m de haut et sont équipées d’un mat atmosphérique de 1.5m de haut. Elles sont déployées depuis un bateau (voir la vidéo ci-contre) puis partent explorer l’océan immense.
Les bouées CARIOCA réalisent des mesures toutes les heures, mesures qui sont transmises par satellite plusieurs fois par jour.
Les chercheurs peuvent ainsi suivre en temps quasi-réel les mesures CARIOCA gouvernant les flux air-mer de CO2 réalisées à des milliers de km de leur laboratoire !
Les bouées dérivantes CARIOCA déployées durant les projets européen Carbochange et KEOPS2 ont ainsi permis d’explorer une grande part de l’océan sud (voir carte ci-dessus).
Capteur CARIOCA
Le capteur (CARbon Interface Ocean Atmosphere) mesure la pression partielle de CO2 dans l’eau de mer de façon autonome. Il permet ainsi de réaliser des mesures toutes les heures, sans intervention humaine pendant plusieurs mois voire plus d’une année. Dans ce capteur, l’eau de mer intéragit avec un colorant dont la ‘couleur’ est reliée au pH du colorant dont on déduit la pression partielle du CO2. La ‘couleur’ du colorant est analysée par un instrument optique (un spectrophotomètre). En Savoir +
Les capteurs CARIOCA peuvent être montés soit sur des bouées dérivantes, soit sur des bouées ancrées. Ils permettent de réaliser des mesures autonomes (sans intervention humaine) reliées aux échanges air-mer de CO2 pendant des mois voire plus d’une année.
Des capteurs CARIOCA sont aussi installés en point fixe sur des mouillages (au large de la Brest (bouée MAREL), dans l’Atlantique tropical (bouées PIRATA)) et récemment un nouveau capteur CARIOCA miniaturisé et pouvant résister à la pression jusqu’à 40m de profondeur a été développé dans le cadre du projet BIOCAREX En Savoir +
Deux capteurs (voir image ci-contre) sont actuellement installés en mer méditeranée sur la bouée Boussole à 2m et 10m de profondeur.
Question 3 : Comment les différents outils sont-ils utilisés ?
Des outils choisis en fonction des objectifs
L'océanographe souhaiterait mesurer partout (sur toute la superficie de l'océan et à toutes les profondeurs) et tout le temps : c'est ainsi qu'aucun phénomène intéressant ne lui échapperait. La réalité est différente et il doit se donner des priorités pour choisir ses zones d'observation, la durée et la répétition de celles-ci. En fonction de ces choix, les différents outils à sa disposition lui permettent d'explorer certaines zones géographiques ou certaines périodes particulières.
Quel outil pour observer ? | Quelle profondeur explorée ? | Quelle Durée ? Répétition des observations |
Quelle distance d’action ? |
|
? surface à 6000 m | • 1 à 2 mois • plusieurs fois par jour |
>10-10000 km |
? surface à 2000 m | • 3 à 4 ans • tous les 10 jours |
1000 km | |
? surface à 2000 m | • plusieurs années • toutes les minutes |
un point dans l’océan | |
? surface à 1000 m | • 2 à 4 mois • plusieurs fois par jour |
1-1000 km | |
? surface à 1000 m | • 2 à 4 mois • plusieurs fois par jour |
1-1000 km | |
? surface à 30 m (max) |
• 5 à 10 ans • tous les jours |
tous les océans : "c’est global" |
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? surface à quelques mètres |
• quelques jours • toutes les minutes |
quelques kilomètres autour d’un bateau |
Des outils utilisés de façon combinée (synergique)
La diversité des outils d'observation désormais disponibles permet également de combiner ces différents outils en fonction des objectifs visés.
Par exemple lors d'une campagne océanographique on peut déployer un planeur autour du bateau (par exemple en faisant un carré de 5 km par 5 km autour du bateau) pour « s'assurer » que les mesures réalisées par le bateau (un point dans l'océan) sont bien représentatives d'une zone plus grande. On peut également, juste avant que le bateau ne quitte la zone, y déployer un flotteur profileur qui mesurera par la suite et pour plusieurs années l'évolution de cette zone.
On peut également envisager de combiner les mesures faites par les satellites à l'échelle globale (sur toute la superficie de l'océan) mais seulement en surface (en gros les 40-50 premiers mètres) avec les mesures faites en profondeur par les flotteurs (par exemple les 3000 flotteurs du programme Argo) pour progressivement créer une représentation 3D de l'océan.